La mastication, un besoin ?
Une des premières questions que je pose en clientèle repose sur les activités masticatoires disponibles pour les chiens. En effet, au fur et à mesure de mes expériences j’ai pu constater que, si le besoin masticatoire n’est pas satisfait, le chien va rediriger sur un autre objet ou même un autre comportement. Pour la petite histoire, lorsque j’ai adopté Bocuse (X staff, ancien chien errant) à 1 an, il a fallu qu’il détruise une bonne partie de l’appartement pour que je me penche sur les mastications naturelles. Une fois ce besoin comblé (et qu’il était moins stressé du changement d’environnement) : plus aucune destruction à la maison et un chien beaucoup plus calme dans ses interactions avec ses congénères. Pour qu’un
chien soit bien dans ses pattes, il est nécessaire de répondre à ses besoins. On retrouve la satisfaction de ces besoins dans la définition du bien-être « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal » (Mormede et al., 2018). Ainsi que dans la hiérarchie des besoins (HDN) ® créée par Linda Michaels sur le modèle de la pyramide de Maslow. Elle part du principe qu’il faut d’abord satisfaire les besoins des chiens avant de penser « éducation » et modification comportementale. La réponse aux besoins permet d’avoir un chien disposé pour l’apprentissage. Connaître et combler les besoins de son chien est donc nécessaire pour son bien-être et pour l’éducation. Dans ces besoins on retrouve évidemment le fait de promener son chien hors du jardin, de lui permettre des rencontres avec des congénères, de le laisser utiliser son flair, de lui permettre de faire des choix etc. Ainsi que la mastication qui est malheureusement souvent méconnues des référents de chiens et donc un besoin rarement comblé.
On sait que la mastication est un besoin en référence à la façon dont les chiens se nourrissent lorsqu’ils sont non-dépendants des humains. Même si nos chiens de compagnie ne sont pas réellement comparables aux chiens libres puisque totalement dépendants de nous, il est important de notifier que les chiens de rue sont souvent des charognards et se nourrissent principalement de déchets humains et de proies (Bonanni & Cafazzo, 2014). Ce type d’alimentation nécessite beaucoup de mastication et dure en moyenne 26 minutes (Forsyth et al., 2014). Le fait de disséquer sa nourriture et ne serait-ce que la mâcher n’est que rarement présent dans le nourrissage en gamelle. Tant de chiens vont juste gober leurs croquettes sans prendre la peine de les mâcher puis aller ronger les pieds de la table pour combler leur besoin masticatoire. En outre, la mastication est particulièrement importante chez les chiots (qui mordillent tout ce qu’ils voient) et adolescents mais reste un besoin à l’âge adulte. Pour répondre à ce besoin, nous pouvons introduire des activités masticatoires dans l’environnement de notre chien. Ceci fait partie de ce qu’on appelle les enrichissements de l’espace : « toute modification de l’environnement des animaux captifs visant à améliorer le bien-être physique et psychologique des animaux en fournissant des stimuli qui répondent aux besoins spécifiques de l’espèce animale » (Baumans & Van Loo, 2013). L’enrichissement est connu pour être utilisé chez les animaux captifs dans les zoos ou les laboratoires pour combler des besoins en reproduisant des éléments « naturels ». Par exemple, chez les chiens de laboratoire, l’introduction de sabots de veau et de jeux permettent de réduire leur stress en comblant l’ennui et le besoin de mastiquer (Baumans & Van Loo, 2013; Döring et al., 2016; Ketter et al., 2020). Les chiens de compagnie sont également des animaux captifs, il est donc important d’enrichir leur environnement. Ici, nous allons parler d’enrichissements inanimés, les enrichissements animés incluant les interactions avec les autres animaux humains et non humains. Concernant ce besoin, c’est la réponse au besoin de mastication/destruction qu’on vise, il est important de choisir un enrichissement adapté et bénéfique. En effet, l’objectif n’est pas juste de proposer des stimuli qui ne plaisent pas à votre chien ou peuvent créer de la frustration. Aussi, les chiens aiment détruire des jouets, des peluches, vos chaussures. Choisir un objet de mastication destructible et accepter d’en acheter régulièrement est nécessaire.
Les bienfaits de la mastication
La mastication a un effet sur le bien-être physique car elle permet de réduire la plaque dentaire mais elle a également un effet le bien-être psychologique de votre chien. Dans les bienfaits à proposer des activités masticatoires, on retrouve : une réduction du stress, la diminution des stéréotypies et comportements dits « problématiques » (agressivité, peur, évitement, hypervigilance), moins de vocalisations, et de l’autre côté des chiens plus détendus, une amélioration des capacités cognitives, et une amélioration du bien-être (Amaya et al., 2020; Herron et al., 2009; Hunt et al., 2022; Murtagh et al., 2020). D’autant plus chez les chiens craintifs, une étude de 2023 a mis en avant la mastication peut avoir des effets positifs sur la cognition chez les chiens en favorisant une meilleure mémoire de travail (Krichbaum et al., 2023). La mastication peut, de fait, être proposée après une émotion négative. Beaucoup de chiens vont avoir besoin de décharger par leur mâchoire en rentrant d’une promenade où vous avez croisé beaucoup de déclencheurs ou lors d’une frustration.
Bien choisir les activités masticatoires
Les objets de mastication doivent être proposés quotidiennement au chien car c’est un besoin qui n’apparaît pas qu’une fois par mois. Il faudra savoir observer votre chien pour voir s’il a un gros besoin masticatoire (2-3 fois par jour) ou qu’une mastication journalière lui suffit. Les activités masticatoires peuvent également être proposées pour combler l’ennui et permettre une décharge mentale lorsque le chien est laissé plusieurs heures ou que vous vous retrouvez avec un chien malade que vous ne pouvez plus sortir. Il est important d’augmenter la mastication lorsque l’effort physique est réduit. L’option que je valorise le plus est la boîte à mastication en accessibilité constante : une boîte avec 3 à 5 mastications, changée dès qu’on remarque un désintéressement chez le chien. Aussi, il faut garder les mastications de très haute valeur pour les moments qui peuvent être un peu stressants ou, où le chien a un fort besoin de décharger. Une activité masticatoire implique, comme son nom l’indique de la mastication (« action de mastiquer, de broyer les aliments avec les dents de manière à en favoriser la déglutition et la digestion » CNTRL). Beaucoup d’objets vendus en hypermarchés ne correspondent donc pas à des activités masticatoires. Par exemple, les sticks et batônnets à mâcher ont une durée de vie de quelques secondes à quelques minutes et ne demandent pas d’efforts au niveau de la mâchoire. Vous devez choisir une mastication en fonction de l’âge et de la puissance de la mâchoire. En effet, donner une oreille de lapin à un Border Collier ou un braque de Weimar ne permettra pas une mastication de longue durée. De l’autre côté, donner une plaque de cuir chevelu de bœuf à un Yorshire Terrier peut avoir pour effet au mieux un désintérêt ou au pire de la frustration. Aussi, il est crucial de toujours tester la mastication en présence avant de laisser le chien seul avec pour voir si c’est effectivement un enrichissement positif pour lui, ainsi que pour des questions de sécurité. Certains chiens comprendront très vite le principe de la mastication et de la destruction, d’autres goberont malheureusement des morceaux trop gros. En cas de doute, posez toujours la question à votre vétérinaire.
Ici, avec un croisé staff et un bébé bouledogue américain, nous utilisons principalement :
- Sabots de bœuf accessibles en continu dans la boîte à mastication
- Bois d’Olivier également en continu
- Oreilles de porc et peau de tête de bœuf au départ de la maison ou quand le chiot a ses montées en excitation
- Cœurs de poulet pour les nouveaux apprentissages et travail sur les peurs
PS1 : Les chiots, lorsqu’ils arrivent chez nous, sont encore en train de faire leurs dents. Comme pour un bébé humain, c’est douloureux et ça doit être soulagé. Il vaut mieux que ça soit soulagé sur un objet masticatoire que sur vos mains. Pensez à rediriger les mordillements sur de la mastication ingérable ou sur de la corde.
PS2 : Attention tout de même aux allergies et à la protection de ressources (n’hésitez pas à sécuriser l’espace à l’aide d’une barrière)
PS3 : Donner une mastication ne suffit pas si votre chien fait de l’anxiété de séparation mais peut être utile si votre chien a juste besoin d’une occupation pour oublier que vous êtes parti. A la maison, par exemple, Bocuse apprécie que je parte de la maison car cela veut dire qu’il va avoir une oreille de cochon et qu’il n’a aucune anxiété quant à mon départ.
Références
Amaya, V., Paterson, M. B. A., & Phillips, C. J. C. (2020). Effects of Olfactory and Auditory Enrichment on the Behaviour of Shelter Dogs. Animals, 10(4), Article 4. https://doi.org/10.3390/ani10040581
Baumans, V., & Van Loo, P. L. P. (2013). How to improve housing conditions of laboratory animals : The possibilities of environmental refinement. The Veterinary Journal, 195(1), 24‑32. https://doi.org/10.1016/j.tvjl.2012.09.023
Bonanni, R., & Cafazzo, S. (2014). Chapter 3 – The Social Organisation of a Population of Free-Ranging Dogs in a Suburban Area of Rome : A Reassessment of the Effects of Domestication on Dogs’ Behaviour. In J. Kaminski & S. Marshall-Pescini (Éds.), The Social Dog (p. 65‑104). Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-407818-5.00003-6
Döring, D., Ketter, D. A., Klima, A., Küchenhoff, H., Dobenecker, B., Schmidt, J.; Erhard, M. H. (2016). Horn of calf hooves as chews in laboratory dogs. Journal of Veterinary Behavior, 13, 39‑45. https://doi.org/10.1016/j.jveb.2016.03.010
Forsyth, D. M., Woodford, L., Moloney, P. D., Hampton, J. O., Woolnough, A. P.; Tucker, M. (2014). How Does a Carnivore Guild Utilise a Substantial but Unpredictable Anthropogenic Food Source? Scavenging on Hunter-Shot Ungulate Carcasses by Wild Dogs/Dingoes, Red Foxes and Feral Cats in South-Eastern Australia Revealed by Camera Traps. PLOS ONE, 9(6), e97937. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0097937
Herron, M. E., Shofer, F. S.; Reisner, I. R. (2009). Survey of the use and outcome of confrontational and non-confrontational training methods in client-owned dogs showing undesired behaviors. Applied Animal Behaviour Science, 117(1‑2), 47‑54. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2008.12.011
Hunt, R. L., Whiteside, H.; Prankel, S. (2022). Effects of Environmental Enrichment on Dog Behaviour : Pilot Study. Animals, 12(2), 141.Ketter, D. A., Klima, A., Küchenhoff, H., Dobenecker, B., Schmidt, J., Erhard, M. H., &; Döring, D. (2020). Effects of Calf Horn as Chews on the Behavior of Laboratory Dogs.Journal of Applied Animal Welfare Science, 23(1), 116‑128. https://doi.org/10.1080/10888705.2019.1571921
Krichbaum, S., Ramey, C., Cox, E., Lazarowski, L. (2023). No bones about it : The effect of chewing on cognition in dogs. Applied Animal Behaviour Science, 268, 106078. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2023.106078
Mormede, P., Boisseau-Sowinski, L., Chiron, J., Diederich, C., Eddison, J., Guichet, J.-L., Le Neindre, P.; Meunier-Salaün, M.-C. (2018). Bien-être animal : Contexte, définition, évaluation. INRA Productions Animales, 31(2), 145‑162. https://doi.org/10.20870/productions-animales.2018.31.2.2299
Murtagh, K., Farnworth, M. J., & Brilot, B. O. (2020). The scent of enrichment : Exploring the effect of odour and biological salience on behaviour during enrichment of kennelled dogs.Applied Animal Behaviour Science, 223, 104917. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2019.104917